Espèce de surfeur… d’eau douce

Espèce de surfeur…
d’eau douce!

Texte, photos et mise en page: Theodore Heitz / Green Touch Picture

« Sérieux ! On peut surfer à Lyon ! », la phrase claque en soirée, mais sent le mytho à plein nez. Lyon! C’est à 300 bornes de la mer. Qu’on y trouve des surfeurs, pas de problème ! Qu’on y surfe pas moyen ! Ou alors dans une vague de bateau façon wakesurfing à grand renfort de gasoil. Ici, on parle de surf sur vagues naturelles. Pas de moteur ! Juste une planche, une grosse combi, la force des bras et celle du courant du… Rhône.

Les surfeurs d’eau douce sont une espèce à part. On connaissait bien celle de Munich (ALL), mais il en existe aussi une à Lyon.

Baptiste et Samuel s’équipent devant la vague: combinaison épaisse, leash ceinture ou au bras, casque et gilet semblent des équipements de sécurité bien légers au regard de la taille des arbres charriés par le Rhône, mais le minimum vital !

 « Ça fait plus d’un an que je n’ai pas surfé ici.“

Baptiste

6°C au thermomètre de la voiture et de la pluie, le rendez-vous était pris sur le coup des midis. Baptiste, 38 ans, s’offre une petite session sur la pause. « Ça fait plus d’un an que je n’ai pas surfé ici. En 2015, on a pu surfer tout le mois de juin. C’était exceptionnel. » Le spot est rarement accessible, praticable uniquement par hautes eaux dans le canal de Miribel. Les crues automnales et printanières alimentent cette vague. Il faut être à l’affut de la moindre goutte de pluie en amont du Rhône.  Un véritable jeu de patience pour des sessions exceptionnelles.

En ce mois de décembre, les températures ne sont pas glaciales, mais demeurent froides. L’eau n’est pas en reste, à peine 5° ou 6° C.

Une bonne combi et c’est partis, pour du surf entre deux berges. Scène presque irréaliste pour les anonymes qui passent sur les chemins bordant le canal. Pas moins de 2000 m3/s d’eau passent dans le canal pour une vague qui tourne autour des 900 à 1400 m3/s. « Habituellement il n’y en a pas assez, aujourd’hui c’est le contraire, explique Baptiste en scrutant la vague, Mais au moins si ça descend, on retrouvera un niveau d’eau où il y a plus de sections surfables. » Il est venu sur sa pause de midi. Le bonhomme se paye le luxe de surfer façon côte basque : boulot, surf, boulot. Il a ramené son collègue Philippe, surfeur occasionnel en mer, qui ne le croyait pas. « Quand j’ai dit à mon fils que j’allais surfer entre midi et deux, il était fou, s’exclame-t-il, si le niveau est encore bon demain je le ramène. Il a son petit niveau en surf. »

La section centrale de la vague. Il faut faire une mise à l’eau en amont, se laisser dériver avec le courant et taper dans la mousse pour pouvoir espérer y accéder.
La section à gauche dans le sens du courant. Beaucoup plus accessible mais moins puissante.

« Habituellement il n’y a pas assez d’eau, aujourd’hui c’est le contraire. »

Baptiste


Le luxe façon côte Basque : boulot, surf, boulot!

Aujourd’hui la vague est trop grosse et trop technique pour la première de Philippe. Baptiste lui déconseille de tenter le surf : « Demain, tu essaieras demain. Le niveau d’eau sera plus faible, il y aura une section à gauche près du bord beaucoup plus facile à prendre ». Philippe est comme un enfant le jour Noël ! Il vient de découvrir un spot en bas de chez lui et on le sent déjà mordu. Baptiste sera seul à surfer aujourd’hui. On sent une petite appréhension. Il va devoir traverser plus de la moitié de la rivière en amont pour attraper la section surfable de la vague et le Rhône charrie pas mal de troncs d’arbre. Auparavant, il est allé voir une petite plage en contrebas. « Normalement, c’est là qu’on sort. Mais aujourd’hui, la plage n’existe plus, elle est sous l’eau. » Pour sortir de la vague, il faut se laisser emporter par le courant, revenir vers la rive gauche et se faufiler entre les arbres pour atteindre ce qui reste de la plage. Le repérage fini, Baptiste part se préparer pour la session.

Direction le parking d’un centre équestre 100 mètres au-dessus de la vague. Il sort de sa voiture une vieille planche déjà bien marquée. « Je l’ai taillée dans une autre planche, fait-il remarquer, elle a aussi été réparée plusieurs fois. Elle a surtout pris des chocs lors de la remontée sur la berge. » La planche est montée en tri fin. Il s’est même bricolé de petits ailerons pour la rivière, afin de rendre la planche plus manœuvrable. Dans le surf de rivière, le principal problème est la vitesse. Si le surfeur a de la vitesse par rapport au courant, son corps en revanche n’en a aucune, il est statique. Réflexion faite, Baptiste n’utilisera pas sa planche. La vague a un profil très long, casse peu et n’est pas très creuse. Il lui faut une planche plus rapide. « Je pense que la mienne sera trop courte. Philippe, la tienne est plus grande. Je peux te l’emprunter ? » Le voilà parti avec la planche de Philippe sous le bras, un casque d’escalade sur la tête, un gilet de sauvetage et un Leash ceinture bricolé avec un élastique. En rivière, si le Leash au pied se coince, c’est la noyade assurée ! L’autre solution étant de se leasher au bras, mais moins confortable lors des manœuvres.

Si le surfeur a de la vitesse par rapport au courant, son corps en revanche n’en a aucune, il est statique.

Les manœuvres demandent énormément d’investissement physique et technique. Le corps n’ayant aucune vitesse, il faut la créer ou la compenser.

En rivière, si le Leash au pied se coince,

c’est la noyade assurée !

Baptiste sur la berge avant de se jeter à l’eau. Le niveau d’eau ayant fait grossir la vague, il a choisi d’emprunter la planche de Philippe. Plus longue et avec un volume plus conséquent, il sera plus facile de surfer.

En cas de wipe out, c’est 100 mètres de lutte contre le courant.

Baptiste saute dans l’eau, rive gauche, 50 mètres au-dessus de la vague. Il sait qu’il va devoir ramer fort pour se positionner au-dessus de la section surfable située à droite de la rivière. Une quarantaine de mètres à batailler contre le courant pour limiter sa dérive. Arriver en arrière dans la vague et tenter de l’accrocher. Il tape dans la mousse de la première vague. Elle est trop plate, ne creuse pas assez, il ne l’accroche pas. La deuxième vague, une dizaine de mètres derrière, sera peut-être la bonne. Il rame pour aller moins vite que le courant et l’accroche.

Une fois dans la vague, il peut prendre son temps. Pour le take off, rien ne presse !




Allongé sur la planche, il prend la mesure de cette dernière. Une fois dans la vague, il peut prendre son temps pour le take off, rien ne presse. A contrario, en cas de wipe out, c’est 100 mètres de lutte contre le courant pour revenir sur la berge à gauche. Baptiste s’appuie sur la planche, positionne ses pieds et se lève. Il tient dans cette longue vague. Un kayakiste de passage a réussi à accrocher la première. Lui a une pagaie et plus de puissance à la rame.





Ici le temps se compte en minutes, les sessions en heures.

Partager la vague avec les autres pratiquants est une chose avec laquelle on se doit de composer.

Ils sont deux, chacun leur vague et pourtant dans le même élément. Ces deux univers qui se croisent rarement ont trouvé ici un terrain d’entente. Baptiste toujours debout, teste la vague. Elle tient. Il peut se lancer dans des manœuvres, chercher la vitesse. Freiner pour monter sur l’épaule, pomper pour descendre, prendre de la vitesse, faire un bottom turn, lancer un cut-back, voir un floater, le tout à la sauce rivière.

Cela il peut le faire tant qu’il reste dedans. Elle est régulière, ne casse pas brusquement. Le ride peut durer jusqu’à l’épuisement du surfeur. C’est maintenant une question de prise de risque dans les manœuvres. On est loin des 30 à 40 secondes en mer. Ici le temps se compte en minutes, les sessions en heures. Seules limites, celle de la fatigue et du temps que l’on peut y consacrer. C’est d’ailleurs l’heure de partir pour Baptiste et Philippe.

Le ride peut durer jusqu’à l’épuisement du surfeur.


Le rendez-vous est pris pour le lendemain midi en espérant que le niveau baisse.

« Quand j’ai dit à mes amis

que j’allais faire du surf en rivière, aucun d’eux ne m’a cru ».

Alexandre

Philippe et son fils Alexandre, 21 ans, sont arrivés plus qu’à l’heure. Déjà en tenue, ils sont au bord de l’eau et analysent la vague. Ils trépignent tous deux d’impatience. « Baptiste ne va pas tarder à arriver. Il est en chemin », lance Philippe. Alexandre n‘attend qu’une seule chose: y aller et en découdre avec cette vague. « Quand j’ai dit à mes amis que j’allais faire du surf en rivière, aucun d’eux ne m’a cru ».

L’arrivée de Baptiste sonne le début de la session !

Le niveau d’eau a largement baissé pendant la nuit. Des 2000 m3/S de la veille, il n’en reste plus que 1400. La vague a creusé. Elle roule, offrant trois sections surfables. La première, à gauche, est accessible directement depuis la berge. Les 2 autres sont situées plus à droite et devront être abordées par le dessus de la vague. La température quant à elle est tombée et le ciel s’est nettement assombri. La session aura lieu sous une pluie glaciale.

Baptiste en premier sur la vague pour cette session du deuxième jour. Alexandre et Philippe observent ce milieu qu’ils ne connaissent pas.

« …puis la planche est partie. Là, c’était vraiment du pur bonheur ! »

-Philippe pour son premier surf en rivière-

Baptiste se lance en premier. Départ debout dans l’eau, une poussette, le voilà allongé sur la planche dans la vague en cherchant le meilleur endroit pour faire son take off. Une fois levé, la vague est plus facile que la veille. Plus permissive et visuellement plus molle. Il ne met pas bien longtemps à retrouver ses maques et décide de sortir de la vague après deux ou trois minutes.C’est au tour d’Alexandre, le benjamin de la bande de se lancer, mais peut-être pas le moins expérimenter en mer. Après avoir observé Baptiste dans ce nouvel élément, il se lance pour son premier essai. Un coup d’épée dans l’eau, puisqu’il sera éjecté de la vague au bout d’une dizaine de secondes en tentant le take off. Il lui faudra 3 essais avant de le réussir et de surfer une petite minute. Il finira sur un bottom turn trop en avant de la vague qui lui fera perdre sa vitesse. Il arrivera à prendre deux fois le surf sur cette session. Viens le tour de Philippe. Lui aussi à un peu de mal à trouver ses marques. Mais finalement après deux essais il s’offrira un petit surf avec un énorme sourire. « J’ai eu l’impression de rater le take off, et puis la planche est partie. Là, c’était vraiment du pur bonheur. » On sent alors dans son discours qu’il a été mordu par cette nouvelle pratique du surf.

Finalement, Philippe réussi à prendre la vague.

Baptiste dans section centrale.

Rester 3 ou 4 heures dans une eau glacée pour surfer.

Pendant ce temps, Baptiste est parti à la conquête des sections les plus à droite de la rivière, qui sont nettement plus grosses. Il n’est pas loin de 14 heures, et il est temps pour Philippe et Alexandre de partir. Baptise quant à lui attend son ami Samuel pour continuer la session.

Samuel, c’est le local du spot. Il y vient dès que le niveau est bon et qu’il en a le temps. Capable de rester 3 ou 4 heures dans une eau glacée pour surfer ce « home spot », il est rayonnant quand il est dans la vague.

Samuel sur la gauche de la vague.

Samuel, c’est le local du spot. Il vient dès que le niveau est bon.

Samuel en action sur le coté gauche de la vague.

La session continue avec Baptiste et Samuel sur les sections du centre et de droite
Seul la nuit arrêtera ces deux férues de surf en rivière.

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